Zara, l’entreprenant ambassadeur de l’Espagne

Inditex a fait de sa société de prêt-à-porter une marque connue dans le monde entier tout en gardant de solides racines au pays.

L”inauguration d”une boutique Zara n”est pas une nouveauté. C”est devenu la routine. Pourtant, en février dernier, les yeux se tournaient vers Nanjing Road. Là, en plein cœur du Shanghai chic, sur l”artère la plus commerciale de la ville, Zara ouvrait son premier ­magasin en Chine continentale : 2 000 mètres carrés de surface et 30 mètres de vitrines au pied de l”immeuble qui hébergeait le consulat espagnol dans les années 20. Tout un symbole quand, dans le monde entier, l”Espagne est devenue « le pays de Zara ».

Bienvenue en Chine

Vendre de la mode aux Chinois, ça pouvait ressembler à vendre de la glace aux Esquimaux. Quatre mois plus tard, en juin, le groupe Inditex, propriétaire de Zara, signale que 90 % des ventes réalisées dans la boutique de Shanghai (positionnée produit de luxe) sont destinées aux consommateurs locaux et non pas seulement aux Occidentaux de passage. Le pied est mis dans le marché chinois. D”ici à 2009, quelque 109 autres ouvertures sont prévues pour appuyer l”entrée en force dans un pays pourtant considéré comme l”empire de la contrefaçon.
Grâce à son agressive stratégie de croissance, Inditex s”est converti au début de l”année en premier groupe textile européen, détrônant les Suédois de H&M : en 2005 les Espagnols ont affiché un chiffre d”affaires de 6,7 milliards d”euros, soit une progression de 21 % et un doublement en quatre ans. Loin derrière, faut-il le rappeler, l”américain Gap, leader mondial avec 21 milliards.
Le modèle Inditex est-il en train de gagner la partie face à H&M ? Il semble au moins avoir remporté la dernière manche. « Au moment d”affronter le marché global et l”ouverture notamment de la Chine, Inditex a fait le choix de maintenir son système d”intégration verticale maximale, alors que tous les concur­rents misent sur la délocalisation » , souligne José Luis Nueno, professeur de marketing à l”IESE, co-auteur de Zara : Fast Fashion . Pour le moment, cela semble payant.

Fidélité au Made in Spain

L”Asie ne représente qu”un tiers de l”approvisionnement d”Inditex (dont 12 % pour la Chine). Alors que l”Espagne et le Portugal concentrent environ 50 % de sa production, le reste provenant d”autres pays, essentiellement de Roumanie. « Nous ne comptons pas modifier notre part de production en Asie, nous voulons garder notre capacité de réaction » , a affirmé Pablo Isla, le vice-président du groupe, en présentant les résultats 2005.
Cette décision, à contre-courant du reste du secteur de la mode de masse, étonne et impressionne. Elle est la marque d”un homme, Amancio Ortega, 70 ans, fondateur d”Inditex en Galice, une région pluvieuse et moussue, enclavée au nord du Portugal. Ortega, simple commis devenu représentant, se lance dans la fabrication de lingerie dans les années 60. La suite, c”est la première boutique Zara en 1975 (il y en a plus de 850 à ce jour), puis l”expansion des autres marques du groupe Inditex (Kiddy”s Class, Pull and Bear, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius, Oysho et Zara Home) qui compte plus de 2 800 magasins dans 64 pays du monde.
Jusqu”à l”entrée en Bourse d”Inditex, en 2001, Ortega est resté un quasi-inconnu. Il continue de garder ses distances avec la presse. A Arteixo, le siège du groupe, près de La Corogne, l”homme le plus riche d”Espagne déjeune au self d”entreprise comme tout le monde. La consigne donnée à tout photographe ou journaliste en visite sur les lieux est de ne pas s”approcher. Gare à celui qui s”y frotte. Monsieur Ortega ne veut pas être dérangé.
Arteixo, c”est le cœur du système, là où sont prises toutes les grandes décisions, selon un processus centralisé, rationalisé à l”extrême, qui permet à la fois de contrôler les coûts, de limiter les stocks et de répondre instantanément aux paramètres du fast fashion . Les grandes lignes de la saison peuvent être produites à bas prix en Chine. Mais les articles inspirés du « vu dans les magazines » et tous ceux liés à la météo ou aux désirs de dernière minute sont produits entre la Galice et le Portugal voisin. Ce qui permet de dessiner, produire, expédier et mettre en rayons en quatre jours le petit top de l”été que tout le monde s”arrache.

Ouvertures à répétition

Le groupe maintient un rythme ­d”expansion effréné : entre 410 et 490 nouvelles boutiques sont attendues en 2006, soit plus d”une par jour. Comment tenir une telle cadence ? Comme d”habitude, Inditex rationalise : « Les boutiques sont toutes montées selon le prototype décidé depuis l”Espagne, explique José Luis Nueno . Chaque marque du groupe a son style qui se répète dans tous les pays. Le design, l”agencement des lieux, la décoration des vitrines, la mise en place, tout est pré-établi. Une fois la boutique ouverte, les besoins de management sont minimaux. »

Défaillance éthique ?
Cette belle mécanique a été prise en défaut récemment au Portugal. Car si Inditex produit à 50 % près de la Galice, le groupe n”a en fait qu”une usine de coupe. Le reste de la fabrication est sous-traité à des coopératives et des ateliers alentour. Or, en mai dernier, l”hebdomadaire portugais Expresso révélait l”existence d”enfants travaillant pour l”un des fournisseurs d”Inditex. Dans son reportage choc, il montrait deux garçons de 11 et 14 ans en train de coudre dans la maison paternelle des chaus­sures Zara, payées 0,40 euro la paire.
Très vigilant sur les codes éthiques chez les fournisseurs externes, le groupe avait alors réagi et enquêté : aucun indice d”exploitation infantile n”a été détecté, selon le rapport.
Pourtant, selon José Guimaraes, responsable syndical portugais du secteur de la chaussure, les sous-traitants locaux sous-traitent à leur tour : une fourgonnette répartit les pièces à assembler, maison par maison, dans les villages alentour. Le soir, les chaussures cousues sont ramassées et d”autres sont données à monter pour le lendemain. Une famille peut coudre entre 100 et 150 chaussures par jour et gagner ainsi de 20 à 30 euros… Impossible de vérifier que les enfants ne sont pas mis à contribution.
Cette situation pointe l”une des limites du système Inditex, qui ne peut maintenir les coûts de sa production de proximité que grâce à la pauvreté du nord du Portugal et de la Galice rurale. « Le risque, c”est que les tarifs des coopératives montent, qu”elles soient moins réactives, ou que les vieilles ouvrières partent à la retraite et que leur savoir-faire disparaisse avec elles » , admet José Luis Nueno.
Mais l”autre inconnue, la vraie, qui plane sur Inditex est la question de la succession d”Amancio Ortega. Depuis le départ de son neveu, en février 2005, le patriarche est sans dauphin officiel.

 

Article published in Challenges, 2006

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